20 Juillet, 21h46
Samuel avait gravé dans sa mémoire le visage de sa cible. Il faisait, à l'instant précis, ce qu'il appelait «devenir la proie.» Il retraçait les chemins que sa cible avait/pourrait emprunter en déterminant toutes les issues possibles. Il devait connaître le terrain mieux que l'adversaire qu'il avait à abattre. Ainsi, la victoire ne serait que plus assurée.
Présentement près des docks de Londres, il continuait son recensement mémoriel avec une ardeur pointilleuse. Rien ne lui échappait. Cette ruelle était plutôt étroite, il pourrait passer facilement, mais un adulte, non. Il pourrait se servir de ce coin pour se tapir et attendre sa proie... Cet endroit était parfait pour une embuscade.
-Hey! C'est lui! Le merdeux de l'autre jour!
L'ouïe aiguisée de Samuel captait la phrase. Les mots avaient été prononcés avec une telle force (ou plutôt, Samuel les percevaient si bien) qu'une légère douleur lui transperça la tête.
Ah. Il avait oublié de mettre ses bouchons pour les oreilles avant de sortir du manoir. Tout en plaçant ces objets obstruant son ouïe, il se retourna à demi. Immédiatement, il comprit que les mots ne lui étaient pas adressés, mais à un adolescent. Cheveux brun, visage quelconque, vêtement ordinaires. Il était entouré de cinq autres garçons ; un semblait avoir son âge, les autres devaient avoir entre 18 et 20 ans.
Ses yeux.
Ses yeux ne démontrait ni peur, ni douleur, ni colère. Ils... ils étaient vides.
«Comme les miens.» Songea le vampire.
Cette scène retenait son attention. Pourquoi? Était-ce l'injustice du combat? Non, Samuel ne se préoccupait plus de ses notions humaines depuis si longtemps. Était-ce l'excitation morbide d'assister bientôt à de la violence? Non, Samuel fabriquait de la violence depuis les 147 années de son existence.
Alors, quoi?
Il s'était rapproché du groupe humain, furtivement. Les ténèbres étant son amie, il s'était glissé dans leur sein, pour ne faire qu'un et se diriger vers les mortels. Il se cacha derrière les caisses industrielles qui transportait le matériel jusqu'aux bateaux. L'odeur de la Tamise, des fientes de mouettes et de la transpiration humaine envahit ses narines.
-Alors, t'emmerdes mon frère, c'est ça, hein? Hein?
Tout en parlant, le jeune homme, environ 20 ans, habillé à la mode Rap/R&B/Hip-Hop, enfonçait son index dans le torse de sa future victime.
«L'alpha de la meute, » identifia le vampire. «Probablement que son élimination amènerait à rompre le clan.»
-Si t'emmerdes mon frère, t'emmerde tout le monde ici. C'est ça le problème, merdeux.
L'adolescent aux yeux vides ne lui adressa pas un regard. Il ne dit rien. Il ne réagit même pas. Devant cette passivité, l'irritation de l'alpha grimpa en flèche. Il parut se calmer ; mais soudain, son poing partit, décrivit un court arc avant de s'écraser contre la joue de son souffre-douleur.
C'était un coup puissant qui déséquilibra l'adolescent. Il tomba au sol.
«Sang, » nota Samuel.
L'odeur âcre parvint jusqu'à lui, lui rappelant qu'il ne s'était pas nourri aujourd'hui. Une impulsion se fit sentir dans tous les membres de son corps. Celle de se jeter à la gorge de n'importe quel de ces mortels, d'enfoncer ses crocs dans leur chair chaude et de les vider de leur sang jusqu'à ce qu'il tombe au sol blanc de mort. Il resta néanmoins en place, contractant ses muscles sous le désir.
L'adolescent aux yeux vides se releva, un filet rouge sur sa peau. La vue du liquide vermeil fit frémir le vampire qu'il se trouvait à une dizaine de mettre de lui.
Les autres mortels rirent. Leur souffre-douleur ne réagissait toujours pas. Un jeune adulte le mit sur ses pieds, le forçait à se tenir debout alors que l'alpha de la meute déchaînait sa fureur contre son ventre.
Samuel observait l'adolescent aux yeux vides qui semblait ni accepter le traitement, ni le rejeter. Où était-il ? Où était son esprit pendant que la douleur terrorisait ses nerfs?
Finalement, le vampire fit une des choses les idiotes qu'il a pu accomplir depuis les trois dernières décennies.
Il changea de forme.
Il se transforma, le plus rapidement dont son corps en était capable, ne prenant même pas la peine de retirer ses vêtements. Il passa ses crocs contre sa chemise. Cette dernière rendit l'âme dans un bruit sec de déchirement.
Les mortels s'arrêtent et tendirent l'oreille. Tous avaient entendus.
-Hey! C'était quoi ça? Fit l'un d'entre un.
Samuel sortit de l'ombre, maintenant devenu un loup plus noir que la nuit. Il s'avança avec calme près de l'alpha, foulant ses pas avec une précision chasseresse. Ses yeux jaunes étaient dans ceux du jeune homme.
-Merdeux, c'est ton chien ou quoi? Questionna un des mortels, entre la nervosité et l'hilarité.
-Chien ou pas, c'est pas grave, rassura l'alpha. J'ai ça.
Il sortit de sa poche un couteau. Samuel n'en n'était pas impressionné. Ses couteaux faisant parti de son arsenal était de meilleure qualité et probablement mieux aiguisé que le sien. Sans compte que le vampire savait comment s'en servir. En jugeant la position corporelle de l'alpha, il ne devait pas avoir tant d'expérience de combat avec une lame.
«Que compte-t-il me faire avec ce canif?» Se dit mentalement le vampire.
L'humain porta son coup. Samuel avant anticipé son attaque, l'esquiva et referma ses mâchoires contre le poignet du mortel. Cri de mort. Peau qui se déchire. Du sang.
Dans une frénésie sanguine, Samuel mit encore plus de pression sur ses mâchoires. Sa force surhumaine fit le reste. L'os brisa, la peau de sectionna. Le vampire venait de lui déchiqueter la main.
Le sang. Le sang. Aaah, douceur ivresse! Aaah, douceur vermeille!
Samuel ouvrit la gueule, laissant tomber le petit morceau morbide au sol. Cris de morts, en choeur cette fois. Le loup noir sauta à la gorge d'un autre mortel. Crocs dans la chair. Gargouillement d'agonie.
Le sang. Le sang!
La meute était en désarroi. Deux avaient courus pour leur peau et leur odeur était depuis longtemps disparue. Un était mort. L'alpha beuglait de douleur. Il restait l'adolescent aux yeux vides, cloué par la peur et l'autre. Le petit frère de l'alpha.
Alpha Jr. vit le l'arme de son frère au sol. Il se pencha pour la ramasser et mit le loup en joue. Samuel émit un grognement bref, Alpha Jr. recula mais ne baissa pas la lame. D'un bond puissant, le loup noir fut sur lui. Il sentit le couteau pénétrer ses côtes. Peu lui importait, cette blessure serait guérie d'ici quelques minutes. Il lui ouvrit la gorge sauvagement. Alpha Jr. tomba au sol, Samuel sur lui. Le vampire but quelques lapés du liquide encore chaud. Puis, Alpha Jr. mourut. Aussi simple que cela.
Alpha, lui par contre, hurlait encore. Samuel le regarda un instant et réfléchit rapidement. Deux témoins s'étaient échappés. Autant éliminer ceux qu'il pouvait.
Il lui brisa la nuque d'un coup de dents.
L'adolescent aux yeux vides. Il était toujours là.
Ses yeux.
Ses yeux par contre, ils étaient remplis de terreur.
Il se releva en titubant, ses genoux semblait être sur le point de fléchir à tout moment, reculant toujours en regardant Samuel. Le vampire l'observait, sans bouger.
«Je devrais le tuer lui aussi, » Pensa le vampire.
Tout à coup, le mortel s'écroula. En quelques bonds, le loup noir était près de l'humain. Pourquoi était-il tombé? S'était-il évanoui? Samuel le renifla. Il saignait un peu, mais semblait pas avoir d'hémorragies majeures. Que s'était-il passé?
Il regarda autour de lui. Toujours personne. Bien.
Il reprit forme humaine. Il était nu certes, mais ses pantalons n'avaient pas été trop abîmés par la transformation. Déchirés, oui, mais encore portables.
Une fois à demi revêtu, il récupéra téléphone cellulaire et cie. tombés au sol. Puis, il se redirigea vers le mortel. Il se pencha vers lui tendit la main vers sur son cou. Sous sa peau chaude, il sentit son pouls. Un peu rapide, mais présent. L'humain n'était pas mort... probablement seulement dans les vapes.
-Réveille-toi, fit Samuel.
Pas de réponse.
-Hey.
Il toucha du bout des doigts le visage de l'adolescent aux yeux vides. Rien.
Samuel suspendit ses mouvements. Bientôt, cet endroit serait remplis de curieux et de policiers... il devait agir vite.
Il commença par retirer la veste que portait le mortel portait. Le vêtement était un peu trop grand pour lui, mais au moins, il n'était plus torse nu. L'adolescent restait mou sous ses manipulations et resta inconscient. D'une part, cela rendait à Samuel le travail plus facile. D'autre part, il se demandait pourquoi il ne lui brisait tout simplement pas la nuque et il le laissait là.
Ensuite, il fouilla dans les poches du jeans de l'humain. Portefeuille. Il parcourut rapidement des yeux ses cartes d'identité, à la recherche de son adresse de résidence. L'endroit indiquait un coin résidentiel, en banlieue de Londres. Il remit le portefeuille à l'endroit où il l'avait trouvé et chargea sur son dos l'adolescent aux yeux vides.
Au loin, il entendait les sirènes de la police. Tant pis pour la route traditionnelle alors. Il grimpa contre un bâtiment, se servait des aspérités pour grimper. Ce n'était pas le poids de plus ne le gênait pas. C'était le fait de n'utiliser qu'une seule main pour escalader.
Sur le toit du bâtiment, il fit un rapide inventaire visuel de ce qui se passait. Les voitures de police arrivaient par le nord... Il prit donc la direction opposée. Plutôt que de porter l'humain sur son dos, il le plaça sur son épaule gauche.
Il se servit de ses jambes puissantes pour le propulser d'un toit à l'autre. Dans cet endroit de la vie, les bâtiments étaient très rapprochés et plus ou moins de la même grandeur. Les sauts d'un toit à l'autre n'étaient pas subtilité totale... mais, c'était définitivement plus subtil que de déchirer à coup de dents trois humains dans la même heure, au même endroit.
Après avoir parcourut ainsi quelques toits, Samuel s'arrêta. Dans ce quartier-ci, il y avait beaucoup plus de passants, de lumière et d'espace. Devant lui, il y une sorte de petit abri orné d'une porte. Probablement les escaliers d'un bloc appartement qui donnait sur le toit. Il essaya de tourner la poignée. Évidemment qu'elle était verrouillée. Ce n'était pas un problème pour le vampire par contre. Il observa la serrure.
-Pfft, rien de plus simple, fit-il, à mi-voix.
Après avoir déposé l'humain au sol, il sortit de ses poches un kit miniaturisé lui permettant d'ouvrir de force les serrures. Après quelques minutes de tripotage, il entendit un clic satisfait. Il fit disparaître ses outils «de voleur», reprit son fardeau et ouvrit la porte.
Il ressortit par la porte principale du bloc appartement, mine de rien. Il pouvait être invisible dans la foule, si on oubliait le fait qu'il portait quelqu'un de plus grand et de plus lourd sur son épaule...
Il héla un taxi. Heureusement, il n'eut pas attendre longtemps. Les regards perplexes que lui adressait les passants commençaient à l'agacer.
Alors qu'il roulait vers la demeure du mortel, le conducteur lançaient des regards interrogateurs à Samuel et à l'autre passager inconscient.
-Mon frère, mentit le vampire. Il souffre de la narcolepsie.
Le visage du chauffeur se détendit et il parut respirer plus librement.
En fait, Samuel demanda au conducteur d'arrêter à quelques maisons plus loin. Ainsi, les parents de l'adolescent ne verrait pas une voiture jaune canari se stationner devant chez eux.
Samuel fit le tour de la maison furtivement. Résidence quelconque, dans un quartier quelconque. Ses parents étaient tous les deux dans le salon, devant un téléviseur à l'écran gigantesque. Le vampire repéra ce qu'il devait être la chambre de l'adolescent. Un ordinateur dans un coin, des affiches de groupes que Samuel n'avait jamais entendu parler sur les murs. La fenêtre était entrouverte. Le vampire l'ouvrit complètement et se glissa dans la chambre du jeune homme. Il le déposa sur son lit et le regarda un moment. Dans la pénombre de la chambre, il pouvait le détaillé comme s'il était dans une pièce remplit de lumière. Le sang sur le bord des lèvres du mortel avait séché. Les premiers poils commençaient à percer sa peau sur son menton. Les veines étaient saillantes sur ses bras.
Il s'agita un peu dans son inconscience. En fait... il en émergeait.
Samuel se pencha vers le mortel à un tel point qu'il pouvait sentir son souffle s'écraser sur lui. L'odeur mortelle envahit tout son être ; l'odeur de la peau, l'odeur du sang. Il entendait les battements de son coeur. Il ressentait ses respirations. Il touchait la vie.
Il lui tourna doucement la tête, exposant son cou. Puis, il sortit ses crocs et lui planta dans sa peau.
L'ivresse ! L'ivresse éternelle!
Sous lui, il entendit la respiration du mortel s'accélérer. Venait-il de s'éveiller de son état de sommeil? Deux perles de sang de formèrent là où les crocs avaient troués la peau. Il les goûta. Son sang n'avait rien à voir avec tous les autres.
Il était riche. Pur. Milles saveurs différentes qui s'élevait dans une chorale extatique. Il avait à la fois des nuances délicates, presque florales et des nuances intenses, épicées. L'humain émit un petit gémissement, en quelque part entre le plaisir et la surprise.
Ça suffisait. Il ne fallait pas être trop gourmand.
Il détacha ses lèvres du cou du mortel, passa sa langue sur la plaie. La blessure se referma immédiatement, ne laissant aucune trace.
Il se releva, s'assura qu'il n'avait aucune trace de sang autour de sa bouche. Alors qu'il s'apprêtait à partir, il entendit l'adolescent aux yeux vides murmurer :
-Ne me laisse pas...
Il était encore dans la transe euphorique, de la façon dont il parlait. Le vampire ne répondit rien. Plutôt, il quitta la demeure.
Il avait beaucoup fait cette nuit. Trop même. Il n'aurait jamais du s'arrêter, il n'aurait jamais dû aider cet humain... Demain, Londres deviendrait folle à propos d'un immense chien noir tueur d'hommes.
Il valait mieux rester tranquille pour un moment...
Samuel retourna donc au manoir, une étrange sensation au ventre. Puisqu'il n'arrivait pas à la définir, il préféra l'oublier.
